samedi 3 mai 2008

La peinture, comme une fleur qui nait

(Les femmes de carrière du Saguenay ont organisé un concours, auprès des étudiants de niveau universitaire, collégial et secondaire, pour présenter quatre femmes illustres de la région. Des 150 inscriptions, quatre retenues dont celle de Ginette Munger. Voici son texte.)

La porte s'entrouvre, en bas de l'escalier un homme, une femme s'enlacent. Sans se soucier de ma présence parce qu'ils ont pris naissance à travers la couleur, le pinceau, l'imagination et l'âme de l'artiste. Je me déplace! Maintenant ce sont quatre jeunes femmes avec un garçon qui chuchotent dans le silence. Puis une femme au sourire sensuel qui se déploie sur une fleur géante. Tous ces personnages se présentent à moi sous forme de mélodie intérieure orchestrée dans l'émotion, mélodie que j'entends déjà.

Je suis en train d'écouter l'histoire qui se raconte à travers ses tableaux quand soudain l'artiste me ramène à la réalité pour me présenter d'autres de ses dernières toiles dont le thème est l'érotisme. C'est cette même artiste qui a pour langage, le pinceau; pour émotions, les couleurs et comme force créatrice la sensibilité que j'ai vraiment touché du doigt en la personne de Madame Yvonne Tremblay-Gagnon.

Cette femme qui semble habitée d'une grande paix intérieure fut très vite liée au monde de l'imaginaire. C'est à Métabetchouan, où elle est née en 1931, que sa relation avec les arts a débuté. Elle sera d'abord fascinée par le théâtre! Bien jeune, Madame Tremblay-Gagnon pousse la porte conduisant vers un intérieur coloré et nuancé, telles les notes de piano jouées une à une; plus jamais elle ne la refermera. Dernière d'une famille de neuf enfants (huit filles, un garçon) elle ressent un besoin intense de se démarquer. « Parce qu'étant la dernière, j'avais l'impression que tout avait été dit et fait » me confiera-t-elle pendant l'entretient. L'art lui amènera les outils pour diversifier ses interventions.

Jusqu'en 1948 Madame Gagnon fréquentera l'école de Nicolet où elle complètera son cours d'École Normale. Ces années de couvent dont elle garde d'innombrables souvenirs lui inspireront une série de tableaux sous le thème: Couvent de ma mémoire. C'est avec un souci du détail historique qu'elle croquera des scènes quotidiennes de la vie des bonnes sœurs et des étudiantes du couvent. Du parloir à la leçon de français, en passant par le dortoir et les invocations de départs ne sont que quelques exemples des moments qu'elle nous fait partager avec ces jeunes filles. Il suffit de regarder le chemin de fer et les deux filles qui attendent pour se rappeler la douleur du départ. Même si le tableau illustre une autre époque, la douleur traverse le temps.

En regardant ses tableaux j'avais moi-même l'impression de voir disparaître les secondes, les minutes et les heures qui me séparaient de ces personnes. La sensibilité qu'elle attribue aux personnages de ses œuvres nous fait voyager, et oublier le côté austère de ces lieux de couvent.

Puis, jusqu'en 1960, Madame Gagnon étudiera à l'école de dessin d'Arvida, section Beaux-arts de Québec. Dans ces lieux privilégiés elle fera la connaissance de « vrais professeurs d'art » qui collaboreront à concrétiser l'artiste déjà enracinée en elle. C'est aussi vers ces années, après avoir expérimenté différentes techniques artistiques, que son choix s'orientera vers le figuratif. De 1961 à 1965 elle étudiera la peinture et la céramique à l'Institut des arts au Saguenay. Pendant deux ans, de 1967 à 1969, elle poursuivra des études en arts au Cégep de Jonquière, et de 1974 à 1976 à l'Université du Québec à Chicoutimi. Au cours de ces années, à travers la peinture et les études, elle cultivera une autre passion qui s'épanouira dans une union avec Monsieur Claude Gagnon, de qui elle aura quatre enfants.

Voulant partager son amour pour l'art, Madame Gagnon deviendra professeur à temps plein en Arts plastiques au niveau secondaire à Jonquière, de 1969 à 1977. Pendant toutes ces années elle trouvera le temps de monter au moins douze expositions individuelles. Sans ignorer toutes les expositions collectives auxquelles elle a participé.

Certaines de ses œuvres font partie de collections privées. Puis il y a les autres qui continuent de faire leur chemin en partageant leur histoire et en écoutant celles des gens; elles vont au-delà des salons dans le cœur des habitants.

En 1981 sa renommée franchira nos frontières et parcourra toute la province. Elle se rendra même jusque dans les bureaux de Monsieur Claude Vaillancourt, alors président de l'Assemblée Nationale. Ce dernier désignera alors Madame Yvonne Tremblay-Gagnon pour faire son portrait lequel sera par la suite affiché dans ces lieux de rencontres parlementaires. Elle répétera aussi l'expérience avec le portrait du recteur de l'Université du Québec à Chicoutimi.

« Difficile parfois d'être femme dans le milieu des arts, parce qu'on doit se vendre, et dans les mœurs sociales les femmes ont souvent beaucoup plus de difficultés à afficher leurs côtés plus forts. » En poursuivant la conversation elle me fera part d'une très bonne nouvelle. Le National Museum of Women in the Arts de Washington confirme son talent en ouvrant officiellement un dossier à son nom, constamment remis à jour par son centre de documentation et de recherche. C'est après avoir fait parvenir son dossier à ce musée qu'elle apprit un mois plus tard l'heureuse nouvelle. Elle s'en réjouit grandement.

Madame Tremblay-Gagnon me confie que la liberté prime avant tout dans sa démarche artistique; elle ne veut pas être influencée par les lois du marché. La seule loi à laquelle elle répond vient de l'intérieur, de sa sensibilité. Sa propre loi la guide vers le thème qui inspire sa création.

Puis un jour son enfant grandit et il revient maintenant aux autres de l'apprécier; c'est que le thème a été touché par toutes les couleurs de la palette d'émotions de l'artiste.

Quelques uns des thèmes qui ont balisé son inspiration se nomment Couvent de ma mémoire, Nadine, Pierres vivantes et enfin ses Icônes érotiques. Les tableaux reliés au deuxième thème, soit Nadine, sont l'aboutissement d'un cheminement de trois ans avec une jeune femme qui posait pour elle. Les toiles sont le reflet de la vie intérieure de celle qui est devenue femme à travers son vécu extérieur; ses peintures en illustrent ses empreintes. Les pierres vivantes chantent un hymne à la terre par toute leur splendeur. Ces tableaux symboliques par leur contexte, mettent en valeur les différentes sortes de pierres. Puis le dernier, les icônes érotiques que j'ai pu admirer et scruter davantage, à travers de remarquables tableaux, fut le thème privilégié de notre entretient et celui qui m'a dévoilé davantage la personnalité de la femme.


Mais s'il peut paraître paradoxal d'associer le mot icône (qui a une consonance religieuse donc sacrée) à l'érotisme, pour cette artiste les deux mots s'unissent pour définir conjointement les tableaux. Parce que pour Madame Gagnon, l'érotisme est quelque chose de sacré, une puissance intérieure qui naît au-delà de notre volonté ou de notre pouvoir. En guise de conclusion relative à ce thème, elle me confie: « C'est une source de vie qui, à la limite, est inépuisable puisque son existence est universelle et sa spontanéité habite les coins les plus secrets de chaque humain ».

J'ai vite deviné que cette femme était hantée par une jeunesse qui semble ne pas vouloir la quitter. D'ailleurs, dans ses toiles, elle fait souvent un clin d'œil à son enfance. Soit par les chevaux peints à côté de Nadine et qui expriment l'attachement qu'elle a eu pour ceux de son jeune temps, ou les ormes qui se font discrets mais bien présents même s'ils demeurent fidèles au passé. Ils sont enracinés d'hier mais fleuris d'aujourd'hui. Ils sont la mort du cocon mais la naissance du papillon. Ils sont l'enfance qui fait place à la vieillesse donc à la sagesse.

Pour Madame Yvonne Tremblay-Gagnon, « L'art est sublimation! ». Non pas que ses toiles s'envolent en fumée mais c'est qu'elles sont la représentation d'un objet concret qui crée un monde abstrait, celui des sentiments. Elles vont au-delà de chaque ligne ou forme exprimée; leurs histoires naissent dans l'imagination pour aller se perdre dans le symbolisme.

Après l'érotisme, quels seront ses prochains voyages intérieurs, à qui seront-ils consacrés? Sans doute à la musique! Même si on la sent déjà présente, elle veut lui sacrifier quelques années pour la laisser s'exprimer. Puis ses petits-enfants viendront s'asseoir pour regarder grand-maman les dessiner. Ce sera sa façon à elle de les immortaliser.

Parler des œuvres de cette artiste, c'est laisser la femme s'exprimer. Madame Yvonne Tremblay-Gagnon, dont j'ai humblement essayé de dresser le portrait, m'a beaucoup touchée. D'abord par sa fragilité qui devient une force en soi parce qu'elle fait naître la sensibilité. Puis chaque parole associée à l'art se métamorphose en couleurs qui viennent tapisser son monde intérieur, lequel elle a bien voulu partager avec moi. Elle me parlait et déjà je la voyais assise en train de peindre, écoutant la musique de Ravel et se laissant apprivoiser par la solitude. Après trente ans de peinture, les doutes vis-à-vis l'utilité de ses peintures se sont dissipés. Des expériences sont venues par elles-mêmes porter le message qui se glisse entre la toile et la peinture.

Juste avant que je la quitte, l'artiste m'a confié un de ses rêves, celui de créer une grande réunion de tous ses enfants. Ce qui exprime le désir d'une rétrospective de ces nombreuses années de complicité avec la peinture. J'aimerais contempler ce beau tableau qui ressemblerait sans doute à celui de la nuit quand la lune dirige les millions de petites étoiles qui l'entourent et qui brillent de tous leurs feux et dont le reflet nous hypnotise, nous envoûte si nous nous donnons la peine de les regarder, et de savoir les apprécier.


Ginette Munger, étudiante au Cégep de Jonquière
Mai 1991

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